Du bras droit, mon clairon à pompons fait trois jolis tours dans un strict apparat. L'adjudant , gant blanc au calot kaki, aboit dans l'instant : " Aux morts !!! " Moi, soufflant alors à fond dans mon ravissant clairon sans piston : " Fa la...sol si...do do sol miiiiii..." Mon colon, archi sourd pour avoir combattu à Tobrouck, glapit au micro : "...qui sont morts à Wagram, à Azincourt, à Moscou sur la Volga, jusqu'au Mont Cassino où Juin s'illustra au mois d'août..."

Un signal grimaçant du commandant mit fin au discours trop connu du colon sur un martial " Pom pom pom pom / pom pom pom poooooom..." sorti tout droit du chic clairon à bibi. Tous nos soldats, du coup, sont saisis au sol, un doigt au fil du pantalon, pifs raidis, fusils brillants flanquant nos sacs à dos aux tons du midi.
Salut plutôt long aux dis fanions illustrant dix divisions ayant combattu l'occupant nazi. " A mon signal..." par rangs stricts, vingt-huit godillots sans clou aucun vont alors partir, battant un chaud goudron fondant au son du cor vaillant, du clairon à moi au son d'or, du tambour au laiton tout bossu. Major, à ton bâton ! Vromm vromm floc, vromm vromm floc jusqu'au quai Sturm.
- Vois, on dirait Cathy Trautmann au balcon, plus ton grand patron mon adjudant.
- Affirmatif mon gars. Clairon, vas-y, sors ton grand air, t'auras du galon !
Toujours du bras droit, mon clairon à pompons accomplit trois tours savants. 3 Marchons, marchons, qu'un sang impur..." Dislocation au pont Vauban.
- Garçon, un vrai grand bock archi-frais pour un clairon du 15/2 Colmar aux panards ayant battu tout Strasbourg !

Je claironne joliment , après une triple boucle de l'instrument manipulé avec dextralité. Le juteux, ganté impéccable, salue troupe et chefs et ordonne une minute de silence. Gorge déployée, je sonne avec les notes appropriées, superbes et bien senties, pendant que le colonel, atteint de surdité totale depuis les batailles de Lybie contre Rommel, annône en stéréo : "...ces héros fauchés en pleine gloire devant Bouvines, sauvés avec une grande armée rescapée d'une Bérézina en crue..."

Avec le feu vert de notre chef en second, et rouge d'impatience, je claironne maintenant une vibrante Marseillaise. Les hommes en restent figés, leurs auriculaires épousant strictement le liseré des jambières, têtes droites, armes bien astiquées contre les havresacs vert olive.Honneur et Patrie : les huiles passent lentement en revue l'exacte dizaine d'oriflammes des troupes libératrices. " Une, deux les bleus ! En cadence, quatorze paires en ligne de godasses caoutchoutées s'élancent derrière les cuivres et les caisses obsolètes. Devant, le majoret lance vers le ciel une canne enrubannée.
"Gauche droite ! Gauche droite ! " parade place Broglie. Hôtel de Ville, une exclamation s'élève :
- Visez l'estrade chef. C'est bien notre maire Catherine en compagnie de Chevènement ?
- Très juste l'artiste. Joue-leur une musique de circonstance,et l'avancement sera assuré.
Je claironne en vainqueur d'une fourragère pomponnée " Que notre Alsace est belle" et " Sambre-et-Meuse" en prime. Étape finale rue de Nantes. Deux heures de marche avec le Quinze-Deux valent bien maintenant quatre demis de bière Kronenbourg !