Voir :
les trois garces
Année 1746.
Ce jour là, Louis-Joseph de Vendôme attendait encore son premier amour. Les trois demoiselles de Mailly, aimables et belles, faisaient l'honneur de leur maison avec une coquetterie qui attirait tout ce qu'il y avait de seigneurs galants à Paris et à Versailles.
Louis-Joseph, encouragé par l'aînée Mademoiselle de Mailly, se prit à l'aimer de toute l'ardeur de ses 22 ans et dans une délicieuse impression d'autant plus vive qu'elle était neuve. Mademoiselle de Mailly dont l'ambition n'avait pas de bornes, se sentit heureuse de la passion qu'elle inspirait à ce monsieur, car à cette époque la bâtardise flétrissait les gens du commun et rehaussait au contraire ceux qui touchaient aux princes de sang et aux rois : Mademoiselle de Mailly encouragea donc cet amour et elle finit même par rendre moins timide le jeune homme très tendre et aussi un peu naïf.


La soeur cadette, Madame de Vintimille en devint jalouse et tenta d'attirer à elle cette affaire. Quant à la troisième soeur, Mademoiselle de Châteauroux, elle se bornait seulement à se montrer gracieuse et courtoise envers Louis-Joseph. Cette situation, dois-je vous dire, semait le trouble dans l'âme du fortuné bienheureux ! Ayant cependant opté pour Mademoiselle de Mailly, l'aînée, il s'y voua résolument au point de décrocher un rendez-vous avec elle à neuf heures du soir dans le bosquet de Diane à Versailles. Une longue attente lui fut infligée ce soir-là. L'impatience, le chagrin, le désespoir, s'étaient emparés de l'âme de Louis-Joseph à tel point qu'il faillit sortir de sa cachette et courir chez Mademoiselle de Mailly lorsqu'il entendit le nom de cette dernière prononcé au milieu d'éclats de rires venant jusqu'à lui.
- Vous savez, un roi fidèle à sa femme sans en être amoureux ça jetait sur toute la cour un reflet de froideur. Voyant que le roi restait indifférent à toutes ces tentations, on a pris les grands moyens : ce matin, sous un prétexte futile, Mademoiselle de Mailly est entrée en toilette des plus galantes. Tous les gens du complot guettaient aux alentours et écoutaient aux portes. Mais l'entretien se prolongeait plus de deux heures. Lorsque la porte s'est ouverte, Mademoiselle de Mailly, sortant brusquement de la chambre dans un désordre qui n'était pas équivoque, tint ce discours : " nous l'avons cru innocent, il n'était que timide. Il surpassera le régent".
- Est-ce possible ?
- Mademoiselle de Mailly est connaisseuse et nous sommes arrivés là où nous voulions : nous avons une cour galante...

Louis-Joseph resta figé , tourmenté de cruelles pensées. Il se sentit bouillir lorsqu'une femme apparut tout à coup devant lui. Ce n'était pas Mademoiselle de Mailly. C'était sa soeur, Madame de Vintimille. Dans ce moment, Madame de Vintimille se présentait à une place où les rayons de la lune, passant à travers le feuillage, éclairaient son visage d'une molle clarté. Louis-Joseph s'attardait sur ces traits qui lui rappelaient tant ceux de sa soeur mais qui, plus doux, respiraient d'un amour dont Louis-Joseph n'imaginait pas les traces. Madame de Vintimille excusa sa soeur aînée avant de s'enfuir dans la nuit. Louis-Joseph rentra chez lui, en proie à une rêverie tumultueuse dans laquelle l'aînée des trois soeurs n'avait plus qu'une faible place. Le lendemain Louis-Joseph revit Madame de Vintimille qui rougit devant lui et ne lui en parut que plus belle. Il su la revoir tous les jours au point qu'il cru aimer encore pour la première fois.
Mademoiselle de Mailly avait attiré Louis XV dans un piège. Louis XV avait profité de la leçon ; il ne lui fut pas difficile d'y attirer à son tour Madame de Vintimille qu'il avait l'occasion de voir souvent.
Se souvenant de la mission qu'elle avait reçue de sa soeur envers Louis-Joseph, et au vu du succès qu'elle avait obtenu, Madame de Vintimille courut chez la benjamine des trois soeurs, Mademoiselle de Châteauroux, histoire de renouveler la commission !

Mademoiselle de Châteauroux, la plus belle des trois soeurs, savait écarter avec tact et douceur tous les jeunes loups de la cour. Aux yeux des seigneyrs elle passait pour une véritable sauvage. C'est pourquoi, sur les instances de la cadette, Madame de Vintimille, émue de pitié pour Louis-Joseph, elle le fit venir sur l'heure auprès d'elle. Là, avec tout le charme de la compassion, elle lui annonça la nouvelle qui brisait la seconde illusion de sa vie. Louis-Joseph s'emporta et jeta encore plus de mépris sur Madame de Vintimille qu'il n'en avait jeté sur Mademoiselle de Mailly. Ne supportant pas d'assister à une telle scène, Mademoiselle de Châteauroux s'évanouit dans les bras de Louis-Joseph ! Troublé par l'émotion de cette femme, Louis-Joseph s'excusa comme s'il eut froissé un ange. il demanda la permission de pouvoir chercher auprès d'elle la consolation dans les douces paroles qui savaient apaiser son coeur. Il revint le lendemain. Il revint tous les jours. Peu à peu, une certaine intimité naissait. Louis-Joseph se sentait séduit de plus en plus et il redoutait avec terreur la passion nouvelle qui commençait à le posséder. De son côté, Mademoiselle de Châteauroux avait pu apprécier les trésors de tendresse et d'amour que Louis-Joseph réservait à celle qui l'aimerait véritablement. Tous deux, muets d'amour et d'admiration, se contemplaient sans oser dire ce qui se passait en eux.
Plusieurs mois s'écoulèrent ainsi jusqu'à ce que Mademoiselle de Châteauroux devint vraiment mélancolique. Un matin, Louis-Joseph la trouva en pleurs et il n'en sut tirer aucun mot. Le lendemain, elle le convoqua et se montra étrangement distante pour enfin lui avouer qu'elle ne saurait jamais le trahir. Elle l'informa de son amour pour le roi, non pour la puissance de celui-là, mais pour son éclat !
Suite à un évanouissement soudain, une longue et cruelle maladie s'abattit sur Louis-Joseph, ce qui le mit aux portes du tombeau. Afin de dissiper la dépression, le Chevalier de Goury se révéla un ami exemplaire dans le sauvetage de Louis-Joseph. Plus tard, pour fêter ensemble le rétablissement de l'amoureux triplement éconduit, ils abusèrent de vin dans une taverne où Louis-Joseph conta son histoire et composa un pamphlet qu'il intitula les trois Marie. Le pamphlet fut distribué avec profusion à Paris et à Versailles. En réponse Louis-Joseph fut bientôt lié, garotté et conduit au donjon de Vincennes.

Les années s'écoulèrent, et la détention de Louis-Joseph se prolongea dans l'oisiveté et la douleur. Enfin il apprit la mort de la Duchesse de Châteauroux et il se prit encore à espérer, mais les jours finirent par lui imposer un découragement profond. Le donjon de Vincennes eut raison de ses 28 années de captivité, ses 28 dernières années.

Golven Gate pour Plum'Art - édition papier

 

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